L’exode palestinien de 1948, surnommé nakba dans le monde arabe, est un sujet sensible en France, particulièrement depuis le 7 octobre dernier. Il l’est tellement devenu depuis cette date que ce livre, édité chez Fayard en 2008 pour sa version française, n’est plus publié par cette maison d’édition depuis décembre dernier (j’ai du l’emprunter à la médiathèque) – c’est La Fabrique qui prendra désormais le relais.
Ilan Pappe fait partie de ces « nouveaux historiens » israéliens qui ont réinterprété la première guerre israélo-arabe de 1948. En désaccord avec son confrère Benny Morris, et comme le titre de l’ouvrage l’indique, il estime que la population palestinienne a délibérément été expulsée durant cette année fatidique, reprenant une expression issue des guerres de Yougoslavie des années 1990, le « nettoyage ethnique », notamment à travers le plan Daleth.
A rebours du mythe du jeune Etat hébreu résistant à une agression de plusieurs pays arabes (comme une version moderne de David contre Goliath) il estime au contraire que les forces sionistes étaient en large supériorité militaire, autant en terme d’équipement, d’entraînement et d’expérience, face aux irréguliers palestiniens, à l’Armée de Libération Arabe (ALA) et les armées régulières des pays voisins, dont la Jordanie qui faisait double jeu, s’étant entendu avec le gouvernement israélien pour s’approprier la Cisjordanie. La jeune armée israélienne était en vérité sûre de l’emporter, notamment grâce à un acheminement d’armes en provenance de Tchécoslovaquie alors que les pays occidentaux avaient cessé d’approvisionner les jeunes nations arabes issues de la décolonisation. Pourtant le souvenir de l’Holocauste était invoqué par le gouvernement israélien, de manière particulièrement cynique vu que les rôles d’agresseurs et de victimes étaient inversés (les Palestiniens présentés comme des nazis…).
Le plan de partage voté par les Nations Unies en novembre 1947? Non seulement disproportionné en faveur des Juifs, mais aussi injuste et illégal car ne respectant pas le droit des Palestiniens. Le comble c’est que l’auteur estime que si la partie arabe l’avait accepté, ce sont les sionistes qui l’auraient refusé, ces derniers étant désireux de s’emparer de toute la Palestine.
Suite à ce refus, une première guerre impitoyable est menée de décembre 1947 à mai 1948, puis de mai 1948 à début 1949. Dès la première phase des villages sans défense, présentés comme des bases militaires par la propagande israélienne, ont été attaqués par des miliciens sionistes, ne faisant aucune distinction entre cibles civiles et militaires. Tout cela sous les yeux des soldats britanniques qui terminaient leur mandat.
Des personnalités connues et héroïques de l’Etat hébreu, en premier lieu David Ben Gourion, en prennent pour leur grade, responsables de graves exaction : destruction des maisons, expulsion des habitants par la force ou la terreur suivie d’une expropriation des terres par le FNJ (Fonds National Juif), exécutions sommaires en représailles, parfois des massacres de civils comme à Tantura. Sur les démolitions des biens immobiliers, l’historien dénonce un « urbicide » qui fait beaucoup écho au « domicide » actuellement à l’oeuvre dans la bande de Gaza.
De multiples citations à l’appui, le projet d’expulsion de population semble être au coeur du sionisme, sous l’euphémisme de « transfert », à ce titre l’ouvrage n’est pas plus tendre envers les sionistes de droite que de gauche, en particulier des sionistes marxistes du Hashomer Hatzaïr. Les achats de terres par le FNJ étant jugés insuffisants, c’est l’expropriation pure et simple de tout un peuple qui fut décidée.
Par la suite la mémoire de la nakba (catastrophe) fut délibérément enfouie, l’historien parlant de « mémoricide », y compris par le « camp de la paix » israélien qui veut faire croire que le conflit israélo-palestinien a commencé en 1967, omettant totalement le droit au retour des réfugiés de 1948 normalement garanti par les résolutions des Nations Unies. Quant aux Palestiniens qui purent rester dans le nouvel Etat hébreu, connus sous le nom de « Arabes israéliens », ils restent suspects du point de vue des différents partis politiques car la « balance démographique » en Israël est un sujet de tension (il s’agit de conserver un Etat à majorité juive) – alors même que ce sont des indigènes et non des immigrés!
Mon avis maintenant. D’un côté on peut dire que le livre est courageux, détruisant le mythe d’un Israël innocent : c’est un véritable pavé dans la mare. Concernant cette mythologie j’aime beaucoup citer le long métrage d’Otto Preminger, Exodus, sorti en 1960 et ayant rencontré un immense succès à l’époque, passant totalement sous silence les faits gênants. Si l’auteur n’était pas lui-même un Juif israélien, les propagandistes habituels le qualifieraient volontiers d’antisémite…
De l’autre, son approche est très clairement militante, le ton est rapidement donné. A la lecture, le contenu paraîtra vite redondant, répétant souvent le titre du livre et énumérant une litanie d’exactions. A de nombreuses reprises j’ai eu l’impression qu’il sortait certains évènements de leurs contextes, les exodes de populations massifs étant fréquents en temps de guerre, sans forcément être planifiés par les forces armées. Selon moi il est fort probable qu’une partie de l’expulsion ait été commise par opportunisme et a posteriori (empêcher le retour des personnes déplacées) plus que par volonté délibérée.
Ensuite, l’auteur semble systématiquement présenter les Palestiniens comme des agneaux irréprochables. Je ne pense pas que ce soit leur rendre service que de remplacer la désinformation sioniste / pro-israélienne par une présentation tout aussi manichéenne. Certains insurgés arabes purent se montrer extrêmement violents (par exemple le triple attentat à la voiture piégée du 22/02/1948 à Jérusalem faisant des dizaines de morts), ce qui, on l’imagine, a influencé l’état d’esprit des futurs Israéliens…
Pour finir, il soutient mordicus le droit au retour des réfugiés, solution qui serait certes moralement juste mais absolument impraticable concrètement vu la pression démographique déjà existante. D’autant plus que les pays arabes voisins ont une part de responsabilité dans le malheur de ces derniers, en ayant eux-mêmes expulsé leurs minorités juives et en refusant d’octroyer leurs nationalités aux réfugiés.
J’écris tout cela sans trouver la moindre excuse à la « catastrophe palestinienne » je précise… Cette expulsion est une tragédie humaine incontestable, devant être reconnue, tant par Israël que par les pays occidentaux soutenant ce dernier – sans quoi aucune paix durable ne pourra advenir. Mais je serais bien plus favorable à des excuses officielles et une indemnisation, au moins symbolique…