Ilan Pappe – Le nettoyage ethnique de la Palestine

L’exode palestinien de 1948, surnommé nakba dans le monde arabe, est un sujet sensible en France, particulièrement depuis le 7 octobre dernier. Il l’est tellement devenu depuis cette date que ce livre, édité chez Fayard en 2008 pour sa version française, n’est plus publié par cette maison d’édition depuis décembre dernier (j’ai du l’emprunter à la médiathèque) – c’est La Fabrique qui prendra désormais le relais.

Ilan Pappe fait partie de ces « nouveaux historiens » israéliens qui ont réinterprété la première guerre israélo-arabe de 1948. En désaccord avec son confrère Benny Morris, et comme le titre de l’ouvrage l’indique, il estime que la population palestinienne a délibérément été expulsée durant cette année fatidique, reprenant une expression issue des guerres de Yougoslavie des années 1990, le « nettoyage ethnique », notamment à travers le plan Daleth.

A rebours du mythe du jeune Etat hébreu résistant à une agression de plusieurs pays arabes (comme une version moderne de David contre Goliath) il estime au contraire que les forces sionistes étaient en large supériorité militaire, autant en terme d’équipement, d’entraînement et d’expérience, face aux irréguliers palestiniens, à l’Armée de Libération Arabe (ALA) et les armées régulières des pays voisins, dont la Jordanie qui faisait double jeu, s’étant entendu avec le gouvernement israélien pour s’approprier la Cisjordanie. La jeune armée israélienne était en vérité sûre de l’emporter, notamment grâce à un acheminement d’armes en provenance de Tchécoslovaquie alors que les pays occidentaux avaient cessé d’approvisionner les jeunes nations arabes issues de la décolonisation. Pourtant le souvenir de l’Holocauste était invoqué par le gouvernement israélien, de manière particulièrement cynique vu que les rôles d’agresseurs et de victimes étaient inversés (les Palestiniens présentés comme des nazis…).

Le plan de partage voté par les Nations Unies en novembre 1947? Non seulement disproportionné en faveur des Juifs, mais aussi injuste et illégal car ne respectant pas le droit des Palestiniens. Le comble c’est que l’auteur estime que si la partie arabe l’avait accepté, ce sont les sionistes qui l’auraient refusé, ces derniers étant désireux de s’emparer de toute la Palestine.

Suite à ce refus, une première guerre impitoyable est menée de décembre 1947 à mai 1948, puis de mai 1948 à début 1949. Dès la première phase des villages sans défense, présentés comme des bases militaires par la propagande israélienne, ont été attaqués par des miliciens sionistes, ne faisant aucune distinction entre cibles civiles et militaires. Tout cela sous les yeux des soldats britanniques qui terminaient leur mandat.

Des personnalités connues et héroïques de l’Etat hébreu, en premier lieu David Ben Gourion, en prennent pour leur grade, responsables de graves exaction : destruction des maisons, expulsion des habitants par la force ou la terreur suivie d’une expropriation des terres par le FNJ (Fonds National Juif), exécutions sommaires en représailles, parfois des massacres de civils comme à Tantura. Sur les démolitions des biens immobiliers, l’historien dénonce un « urbicide » qui fait beaucoup écho au « domicide » actuellement à l’oeuvre dans la bande de Gaza.

De multiples citations à l’appui, le projet d’expulsion de population semble être au coeur du sionisme, sous l’euphémisme de « transfert », à ce titre l’ouvrage n’est pas plus tendre envers les sionistes de droite que de gauche, en particulier des sionistes marxistes du Hashomer Hatzaïr. Les achats de terres par le FNJ étant jugés insuffisants, c’est l’expropriation pure et simple de tout un peuple qui fut décidée.

Par la suite la mémoire de la nakba (catastrophe) fut délibérément enfouie, l’historien parlant de « mémoricide », y compris par le « camp de la paix » israélien qui veut faire croire que le conflit israélo-palestinien a commencé en 1967, omettant totalement le droit au retour des réfugiés de 1948 normalement garanti par les résolutions des Nations Unies. Quant aux Palestiniens qui purent rester dans le nouvel Etat hébreu, connus sous le nom de « Arabes israéliens », ils restent suspects du point de vue des différents partis politiques car la « balance démographique » en Israël est un sujet de tension (il s’agit de conserver un Etat à majorité juive) – alors même que ce sont des indigènes et non des immigrés!



Mon avis maintenant. D’un côté on peut dire que le livre est courageux, détruisant le mythe d’un Israël innocent : c’est un véritable pavé dans la mare. Concernant cette mythologie j’aime beaucoup citer le long métrage d’Otto Preminger, Exodus, sorti en 1960 et ayant rencontré un immense succès à l’époque, passant totalement sous silence les faits gênants. Si l’auteur n’était pas lui-même un Juif israélien, les propagandistes habituels le qualifieraient volontiers d’antisémite…

De l’autre, son approche est très clairement militante, le ton est rapidement donné. A la lecture, le contenu paraîtra vite redondant, répétant souvent le titre du livre et énumérant une litanie d’exactions. A de nombreuses reprises j’ai eu l’impression qu’il sortait certains évènements de leurs contextes, les exodes de populations massifs étant fréquents en temps de guerre, sans forcément être planifiés par les forces armées. Selon moi il est fort probable qu’une partie de l’expulsion ait été commise par opportunisme et a posteriori (empêcher le retour des personnes déplacées) plus que par volonté délibérée.

Ensuite, l’auteur semble systématiquement présenter les Palestiniens comme des agneaux irréprochables. Je ne pense pas que ce soit leur rendre service que de remplacer la désinformation sioniste / pro-israélienne par une présentation tout aussi manichéenne. Certains insurgés arabes purent se montrer extrêmement violents (par exemple le triple attentat à la voiture piégée du 22/02/1948 à Jérusalem faisant des dizaines de morts), ce qui, on l’imagine, a influencé l’état d’esprit des futurs Israéliens…

Pour finir, il soutient mordicus le droit au retour des réfugiés, solution qui serait certes moralement juste mais absolument impraticable concrètement vu la pression démographique déjà existante. D’autant plus que les pays arabes voisins ont une part de responsabilité dans le malheur de ces derniers, en ayant eux-mêmes expulsé leurs minorités juives et en refusant d’octroyer leurs nationalités aux réfugiés.

J’écris tout cela sans trouver la moindre excuse à la « catastrophe palestinienne » je précise… Cette expulsion est une tragédie humaine incontestable, devant être reconnue, tant par Israël que par les pays occidentaux soutenant ce dernier – sans quoi aucune paix durable ne pourra advenir. Mais je serais bien plus favorable à des excuses officielles et une indemnisation, au moins symbolique…

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Un vidéaste-historien prometteur : « L’Etoffe d’un Chef »

C’est un peu la chaîne YouTube d’Histoire que j’ai toujours rêvé de créer, car essentiellement consacrée au XXe siècle : l’Etoffe d’un Chef fait partie de ces jeunes historiens-vidéastes prometteurs, abordant leurs thèmes face caméra, à l’image de Histony dont j’ai déjà parlé.

Ayant souvent lu les synthèses de la collection Repères, je me suis retrouvé dans sa description de ses histoires nationales – à la différence que si j’avais été à sa place, j’aurais été moins axé sur les personnalités des grands chefs d’Etats que sur les tendances générales (économiques, démographiques, idéologiques, sociales etc. ). Et sans doute, beaucoup moins marqué à droite sur certains sujets : autant j’accusais précédemment Histony d’être trop marqué à gauche (même si ce dernier assumait ses opinions, je trouvais que par moments, la subjectivité détruisait la rigueur dont il se drapait), là c’est tout l’inverse, dans le sens d’une droite traditionaliste, hostile à l’héritage de la Révolution française. Par exemple sur l’Espagne il reprend abusivement les excuses franquistes sur le coup d’Etat de 1936, oubliant la longue tradition de répression anti-sociale avant cette date… Je ne suis décidément jamais content!

A côté de cela, il a le grand mérite de mettre les mains dans le cambouis, abordant des thèmes assez peu traités, ainsi que de répondre aux commentaires des internautes (dont les miens). Du Maroc à l’Iran, du conflit-israélo-arabe à la complexité de l’islam, du Portugal de Salazar à l’Arabie Saoudite, chacun pourra y trouver son compte. Dernièrement il vient de terminer une série sur le génocide rwandais, sujet ô combien polémique et sensible.

A découvrir donc.

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[Parenthèse] Commémoration du génocide rwandais ou tenue d’un agenda politique?

Sans doute n’ai-je pas assez de légitimité pour parler du « dernier génocide du XXe siècle », n’ayant pas suffisamment lu sur le sujet. Il faudrait éplucher la bibliographie et l’historiographie, confronter les différentes versions de cette épouvantable tragédie pour saisir toute sa complexité. Dernièrement, le très bon vidéaste-historien « L’étoffe d’un chef » a publié plusieurs vidéos dessus (je consacrerai sans doute un article sur ce dernier, faisant partie des youtubeurs que je suis assidûment). 

Mais voilà je suis obligé de réagir, car j’ai souvent pu constater un masochisme franco-français, une fois de plus : une tendance absurde d’accuser l’Hexagone de fautes qu’il n’a pas commises, avec des discours remplis de malhonnêteté et de semi-vérités, notamment quand des formules comme « complicité de génocide » sont prononcées. Quiconque conteste ces derniers se voit affublé d’expressions comme « négationniste », « conspirationniste » etc. Deux vérités très importantes me semblent bonnes à dire sur ce dossier :

-Paul Kagame est un dictateur qui n’a absolument aucune légitimité démocratique ; à l’inverse, avant le drame, la France faisait pression pour la démocratisation de l’Afrique depuis le célèbre « discours de La Baule » de François Mitterrand en 1990 ;

-pendant le génocide de 1994, durant la guerre civile de 1990-1993 et depuis 1996 en République Démocratique du Congo (anciennement Zaïre), le FPR s’est livré à des massacres de masse qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité.

Par un curieux humanisme à géométrie variable, les contempteurs de la France passent systématiquement ces faits sous silence, pourtant largement documentés. Ceux qui les rappellent, à l’image de l’historien Filip Reyntjens (dont j’avais chroniqué le Que sais-je? il y a quelques années), voient l’opprobre être jeté contre eux.

Beaucoup d’autres journalistes ont écrit dessus contestant la version « officielle » rwandaise : Judi Rever, Pierre Péan, Stephen Smith ou encore Charles Onana. On peut encore citer l’historien Bernard Lugan, plus controversé, mais intéressant par l’étendue de sa culture. Là aussi à leur encontre, des insultes, du dénigrement, mais très peu d’arguments de fond. Comme si l’hommage (légitime) rendu aux victimes tutsi du génocide devait être indissociable d’une certaine doxa, étrangement favorable à la dictature toujours en place au Rwanda…

Fort probablement les autorités françaises ont pêché par aveuglement à l’époque, s’ingérant dans une guerre civile qu’elles ne comprenaient pas. Mais rien ne justifie la falsification du passé.

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Deux films sur l’assignation identitaire – ou la misère de l’antiracisme victimaire

Dernièrement un ami m’avait recommandé American Fiction, un des rares films s’attaquant aux Social Justice Warriors. Adapté d’un roman, il raconte comment un professeur de littérature érudit, issue de la bourgeoisie afro-américaine, ne trouve aucun succès en tant qu’écrivain dans son domaine quand il fait preuve d’un haut niveau intellectuel, alors qu’au contraire il devient très célèbre quand il écrit une histoire de ghetto où la vulgarité se mêle au crime, véritable parodie du genre. Le scénario est très acerbe contre cette bourgeois blanche progressiste plus royaliste que le roi, qui veut enfermer les Noirs américains dans leur rôle d’éternelles victimes de la société au nom de l’antiracisme – à ce titre beaucoup de scènes sont savoureuses. 

Il m’a rappelé une autre comédie que j’avais vu auparavant, française cette fois, sortie dans les salles la même année : Youssef Salem a du succès, traitant également d’un écrivain d’une « minorité » (ici, d’origine maghrébine, incarné par Ramzy Bedia) qui obtient un succès éditorial inattendu, cette fois avec un livre tournant autour du tabou de la sexualité. Là aussi on constate que certains veulent assigner le protagoniste à une identité spécifique, le ramenant à son origine. Lors d’un débat télévisé, une gauchiste l’accuse ainsi de dénigrer les jeunes « racisés » (un adjectif apparu il y a quelques années qui illustre bien la langue de bois orwellienne des temps modernes…).

Ces deux films de 2023 ont été un véritable bonheur pour moi. Chacun illustre à sa manière comment une certaine bien-pensance « antiraciste », au nom de bonnes intentions, a tendance à assigner les individus à des identités spécifiques, même quand les intéressés veulent contester cette place. Rien que pour cette raison, je les recommande fortement!

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Moonlight, le film « woke » par excellence?

Je voulais parler de ce film depuis un certain temps. Je le connaissais juste de nom auparavant, le sujet ne m’intéressait pas particulièrement ; c’est finalement la comédie française Tout simplement noir qui m’avait donné envie de le voir, lui faisant un clin d’oeil lors d’une scène.

Réalisé par Barry Jenkins, sorti dans les salles en 2016, Moonlight raconte la difficile acceptation de l’homosexualité dans les ghettos afro-américains à travers les yeux du jeune Chiron au cours de trois étapes de sa vie : enfance, adolescence puis âge adulte.

Parlons justement de l’aspect « ghetto », l’ambiance rappelant fortement Boyz n the Hood, même si l’action se passe ici à l’autre bout des Etats-Unis (Miami et non plus Los Angeles) : comme pour ce dernier, les personnages vivent dans des maisons individuelles assez spacieuses et un relatif confort matériel, ayant peu en commun avec les cages à lapin qu’on connaît en France, où, souvent, les populations immigrées et pauvres aux familles nombreuses sont concentrées. Et pourtant, ce rapport très différent à l’espace aux Etats-Unis n’empêche nullement la violence, bien pire que dans l’Hexagone (le taux d’homicide est largement plus élevé), due au trafic de drogues, à l’accès facile aux armes à feu et surtout à la misère intellectuelle.

Puisqu’il s’agit d’un hood movie, qu’en est-il du racisme et des violences policières, sujets préférés des gauchistes? Il n’en est point question ici puisque les Noirs vivent séparément et que les Blancs font partie d’un décor lointain. Si la violence imprègne l’histoire, nous restons dans le tragique et habituel « black-on-black crime » si bien dénoncé par nombre de films du genre au moins depuis les années 1990. L’homophobie, le thème principal de cette oeuvre? Logiquement très présente, mais les méchants homophobes qui harcèlent le protagoniste sont d’autres enfants et adolescents noirs.

Malgré ses nombreux aspects positifs, je l’ai trouvé par contre très maladroit dans la dernière partie, sur ce qui peut sembler être un détail mais qui, visuellement du moins, a son importance. Risquant de spoiler ceux qui ne l’ont pas vu, je vais rester évasif : faut-il comprendre que le recours à la violence et la voie criminelle nous permettent une formidable récompense sociale (et accessoirement physique) ? Quelle que soit sa couleur de peau ou son orientation sexuelle, je ne suis pas sûr que montrer une telle évolution d’un personnage soit un bon exemple pour la jeunesse, surtout vu les dégâts causés par les drogues dures à la société (dégâts qui sont abordés par ailleurs).

C’est mon seul véritable regret par rapport à ce film, pour le reste très bien réalisé, et au final pas aussi « woke » qu’on pourrait le penser.

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Emmanuel Todd – La défaite de l’Occident

Voici le livre le plus stimulant qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps, au succès éditorial amplement mérité. Dans le contexte de la guerre en Ukraine l’auteur, célèbre essayiste et anthropologue qui s’est souvent basé sur la structure familiale pour expliquer les différents régimes politiques selon les pays, questionne ici le rapport de force véritable entre les blocs géopolitiques ainsi que l’idéologie sous-jacente les animant, qui à la base était d’origine religieuse (l’influence du protestantisme est souvent citée).

A rebours de certains indicateurs économiques superficiels comme le PIB, les Etats-Unis apparaissent comme en déclin sérieux depuis les années 1980, ce qui avait été masqué par leurs victoire à l’issue de la guerre froide. De plus en plus désindustrialisés et surendettés, dépendants au dollar qui est leur principal bien d’exportation, il s’est avéré que début 2023 leur industrie militaire était incapable de subvenir aux besoins en munitions de l’armée ukrainienne. Avec une jeunesse se dirigeant davantage vers des métiers improductifs comme ceux du Droit et de la Finance au détriment des études scientifiques, l’Oncle Sam se retrouve obligé d’importer massivement des ingénieurs : la Russie, pourtant bien moins peuplée, en forme plus chaque année! Cette dernière, bien au contraire, a su adapter son économie à la guerre et résisté aux sanctions occidentales. Si on se place sur le long terme, son redressement a été spectaculaire depuis deux décennies avec la baisse du nombre d’homicides, de suicides, de l’alcoolisme, de la corruption et de la mortalité infantile (les années 1990 avaient été une catastrophe).

L’Occident, aveuglé par son complexe de supériorité, semble à l’inverse affecté par un nihilisme moral, la religion ayant atteint le degré zéro, tendance consacrée par le triomphe de l’idéologie « LGBT » qui va jusqu’à nier les différences biologiques entre hommes et femmes. Ses médias et sa classe politique accusant Vladimir Poutine de favoriser l’homophobie ne se rendent pas compte qu’ils lui rendent un immense service : son conservatisme est à l’image des sociétés traditionnelles d’Afrique et d’Asie, il engrange ainsi une forte sympathie dans les opinions publiques. Plus grave encore, la crise des opioïdes est révélatrice du cynisme de l’oligarchie américaine, en arrivant à empoisonner massivement ses propres concitoyens au nom de la recherche du profit.

L’essai est assurément politiquement incorrect, prenant le contrepied du discours dominant, abordant de nombreux sujets (je n’ai fait qu’en citer quelques uns) et passant en revue plusieurs pays : le sixième chapitre consacré à la Grande-Bretagne est à ce titre fascinant. Il n’est pas « réactionnaire » pour autant, par exemple l’auteur n’est pas tendre avec les classes populaires européennes de plus en plus séduites par le vote d’extrême-droite : il estime qu’elles sont devenues une sorte de bourgeoisie mondiale profitant du travail délocalisé dans le tiers-monde ; il la compare ainsi à la « plèbe assistée » de l’Empire romain.

Au final je conseille fortement ses entretiens sur la chaîne ELUCID ou sur celle de la librairie Mollat.

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Un concept dit féministe qui m’énerve : le « patriarcat »

Parmi les livres lus en 2023 mais non recensés sur ce blog figurait l’essai de Mona Chollet publié en 2021, égérie féministe ou plus exactement néo-féministe : Réinventer l’amour – Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

Le contenu m’a paru inégal. Il y a incontestablement des remarques véridiques alors que d’autres m’ont semblé de mauvaise foi. Au cours de la lecture j’ai parfois eu l’impression que l’auteure avait plusieurs décennies de retard sur la réalité, s’appuyant sur des données datées, avec d’ailleurs des sources qui remontent parfois aux années 1980. Tout cela sans vraiment prendre en compte l’évolution de la société : les femmes sont de plus en plus indépendantes financièrement (ce qui est une bonne chose) ou encore réussissent mieux les études supérieures que les hommes etc.

Il y a aussi un mot utilisé dans le sous-titre qui me posait personnellement problème, revenant ad nauseam dans la bouche des féministes contemporaines : « patriarcat ». Au niveau étymologique, ce terme renvoie au pouvoir du père sur sa femme et ses enfants. Il m’évoque tout de suite la figure du pater familias de la Rome antique, époque où les relations humaines pouvaient être particulièrement dures (pas seulement entre hommes et femmes) : le père, chef de famille, disposait d’une autorité absolue dans le foyer.

Or… les moeurs mais aussi les lois ont bien changé le siècle dernier. En 1970, la « puissance paternelle » a été remplacée par l’autorité parentale dans le droit français.

Le concept aurait encore un sens dans certaines cultures où les femmes et jeunes filles subissent une tyrannie des mâles à l’intérieur même de leurs familles : un père ou un frère ainé restreignant leurs libertés au nom de leur honneur (suivez mon regard…). Mais pour les sociétés occidentales?

Ce mot, je l’ai employé moi-même sur ce blog à quelques reprises, mais uniquement dans des contextes particuliers, culturels ou idéologiques. La morale du Ravage de René Barjavel s’inscrit très clairement dans un schéma patriarcal, par ailleurs poussé jusqu’à l’absurde (dans sa conclusion un patriarche tout puissant régente une société redevenue primitive).

Si j’en crois l’article Wikipédia, ce serait le mot « viriarcat » qui serait mieux adapté pour désigner le pouvoir des hommes sur les femmes, d’après l’anthropologue Nicole-Claude Mathieu. Cela me paraît déjà plus exact en terme d’étymologie. Pour autant, même ainsi, l’emploi d’un tel vocabulaire est-il pertinent pour décrire les sociétés du XXIe siècle?

J’avais déjà eu l’occasion d’en parler par rapport à la mort de Gisèle Halimi : les progrès ont été considérables ces dernières décennies, le féminisme a remporté ses principaux combats. Aujourd’hui la société est individualiste, le carcan familial s’est largement desserré. Les inégalités persistent mais ne relèvent-elles pas davantage d’un combat entre classes sociales plutôt qu’entre les deux genres?

La lutte contre les discriminations et les injustices subies par le « deuxième sexe » est parfaitement légitime et fondée. Encore faudrait-il actualiser ses informations!

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J’ai lu « Ravage » de René Barjavel

A priori un roman publié sous le régime de Vichy (1943) à la réputation de délivrer un message pétainiste ne donne pas envie. Toutefois Ravage vaut la lecture : il s’agit d’une dystopie narrant la fin brutale d’une civilisation futuriste. L’adaptation en bande dessinée (trois tomes) aux forts relents de Mad Max m’avait intrigué, aussi je me suis penché sur l’oeuvre originale. J’ai découvert une histoire très intéressante, par ailleurs plus apocalyptique que post-apocalyptique (seule la dernière partie, très maigre au demeurant, peut être qualifiée comme telle).

Une intrigue secondaire était étonnamment absente de la BD, rappelant quelque peu le scénario des Black Panther de la franchise Marvel : un empire sud-américain, suréquipé et surarmé, dirigé par un empereur noir, déclarant la guerre à l’Amérique du Nord car voulant se venger de l’Homme Blanc… Trop politiquement incorrect pour pouvoir être montré aujourd’hui sans doute. Pour ces quelques pages je ne saurais dire si la morale était raciste ou antiraciste tant la description était ambigüe.

Sur le reste, le livre donne à réfléchir sur notre dépendance à la technologie, nous rendant extrêmement vulnérables en cas de coupure d’électricité. A ce titre il est plus que pertinent vu l’évolution que la société a connue depuis plusieurs décennies. Le souci est que la conclusion que l’écrivain en tire est tellement réactionnaire et machiste qu’il donnerait presque raison aux féministes hystériques d’aujourd’hui, dans la mesure où il réhabilite le patriarcat le plus rétrograde. C’est bien simple : dans le dernier chapitre je ne savais pas vraiment si l’auteur avait mis par écrit ses véritables idées ou s’il avait voulu plutôt s’auto-caricaturer, histoire qu’on ne prenne pas vraiment au sérieux son récit (à moins qu’il souhaitait avertir ses lecteurs d’un futur détestable mais possible en cas de catastrophe?). 

C’est d’autant plus regrettable que, dans l’ensemble, René Barjavel avait visé juste, s’inspirant alors très largement des horreurs de la Seconde guerre mondiale, en tant que témoin d’époque.

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[Parenthèse] L’Ukraine, une nouvelle humiliation occidentale

Je viens de terminer la lecture du dernier essai d’Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident ; je ne le chroniquerai pas dans l’immédiat en raison d’un manque de temps. Comme son titre l’indique, l’auteur, connu pour avoir prédit la chute de l’URSS avec quinze ans d’avance (La Chute finale, publié en 1976), n’est vraiment pas tendre à l’égard du camp occidental, ayant perdu ses valeurs morales au profit d’un nihilisme qui lui fait perdre tout sens des réalités, qu’elles soient économiques, militaires ou géopolitiques. Plusieurs thèmes sont abordés (désindustrialisation, fiabilité des indicateurs économiques comme le PIB, chute des performances scolaires, démographie et mortalité…), même si la toile de fond reste la guerre russo-ukrainienne. Nous pouvons écouter l’entretien avec Olivier Berruyer sur la chaîne Elucid.

Cela fait deux ans, jour pour jour, qu’un type de guerre que je croyais personnellement révolue depuis la fin de guerre Iran-Irak en 1988 ou les guerres de Yougoslavie des années 1990 (conventionnelle, entre deux Etats et de longue durée) est réapparue en Europe. Comme beaucoup de monde, j’avais été très choqué que Vladimir Poutine ait franchi ce point de non-retour. Je pensais naïvement que les mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne n’étaient que du bluff et que les médias alertant d’une possible invasion russe ne faisaient que reprendre la propagande des Etats-Unis. Aussi, durant les premiers mois de la guerre, malgré mon anti-atlantisme viscéral, j’estimais l’aide militaire et économique au gouvernement ukrainien parfaitement légitime et fondée. La victoire ukrainienne dans les premiers mois a été un véritable soulagement.

Mais voilà. Depuis, la guerre s’est enlisée, et nos gouvernements et notre presse ont encouragé Zelensky dans des objectifs complètement irréalistes, notamment la reprise de la Crimée et du Donbass, pourtant russophones et russophiles de longue date.

Fin 2022, nous aurions très bien pu affirmer : « l’Ukraine a repris les territoires jusqu’au Dniepr, elle a sauvegardé son indépendance, elle est arrimée au camp occidental : les buts de guerre ont été atteints, il est inutile d’aller plus loin » et chercher un compromis avec la Russie ; qui de son côté aurait également pu crier victoire de cette façon : « nos frères russes d’Ukraine sont désormais protégés et ont pu retourner à la mère patrie ».

Lors de la terrible guerre de Bosnie, malgré la défaite serbe après l’intervention de l’OTAN en 1995, il a bien fallu négocier avec Slobodan Milosevic, même si nos journaux l’avaient diabolisé à outrance (comparaisons avec Hitler…). Cela a abouti aux accords de Dayton et à la création d’une « république serbe de Bosnie » très largement autonome, qui administre toujours plus d’un million d’habitants à l’heure actuelle. Certains diront que les tensions existent toujours en Bosnie, mais au moins les armes se sont tues. A défaut de réconcilier les peuples, les violences ont cessé.

Pourquoi ne pas tenter une solution similaire? Les gouvernements et les journalistes qui parfois donnent l’impression de découvrir les difficultés sur le terrain avec plusieurs mois de retard, feraient bien d’appliquer le principe de réalité, au lieu de vouloir se battre très courageusement jusqu’au dernier Ukrainien…

L’année 2023 a déjà été un immense gâchis, les suivantes seront-elles semblables?

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Quelques lectures non recensées en 2023

J’ai toujours considéré la victimisation communautaire, qu’elle soit ethnique, nationale, religieuse ou raciale, comme une des pires tares de la société moderne. Elle est, selon moi, autant un héritage du gauchisme antiraciste « woke », de l’extrême-droite identitaire que de la bien-pensance du centre. Le conflit israélo-palestinien revenu tragiquement sur le devant de la scène le 7 octobre dernier a ainsi fait ressortir une véritable concurrence victimaire entre les deux groupes : la religion de la Shoah pour les uns (pro-israéliens) face à la ritournelle anticolonialiste pour les autres (pro-palestiniens).

A cause du déluge d’émotions s’étant abattu depuis, de peur de souffler sur les braises, je n’avais pas osé recenser certains livres lus l’année dernière, qui peuvent trop rappeler cette actualité. Finalement je me lance, car ils illustrent chacun l’embarras posé par ce type de rhétorique :

 

-Amin Maalouf – Les Croisades vues par les Arabes (1983)

Référence sur le sujet, je l’avais terminé peu avant que son auteur, écrivain de métier et non historien, soit élu secrétaire perpétuel de l’Académie française. Il est sans doute l’ouvrage le plus connu sur les Croisades, par exemple le vidéaste Herodot’com le cite en tout premier dans la bibliographie consacrée à cette période. Connaissant mal cette dernière (à part grâce à quelques vidéos de vulgarisation, récemment l’excellente chaîne « Batailles de France » s’y est attelée), je ne le commenterai pas sur le fond, si ce n’est pour dire qu’il est passionnant de découvrir les divisions multiples dans chaque camp, surtout celles qui déchiraient le monde musulman (notamment Arabes contre Turcs et Sunnites contre Chiites) qui ont rendu possibles les victoires initiales des croisés.

Si l’honnêteté intellectuelle semble au rendez-vous la plupart du temps, le ton devient irritant quand l’Islam est placé systématiquement en position de victime agressée : en lisant le texte, il semblerait qu’il n’y ait eu aucune expansion islamique à l’encontre du monde chrétien avant la prise de Jérusalem de 1099 (les offensives arabes contre Constantinople dès le VIIe siècle? la conquête de l’Espagne au VIIIe? Amnésie totale…). Nul besoin d’être médiéviste pour démentir une présentation aussi manichéenne.

Abstraction faite de cet aspect, le récit est aussi captivant que plaisant.

 

-Emmanuel Brenner (dir.) – Les Territoires perdus de la République (2002, réédition de 2014) – Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire

Il s’agit d’un ouvrage collectif dirigé par Georges Bensoussan (qui écrivait alors sous pseudonyme) ayant acquis un statut « culte » si on peut dire, le titre semble être devenu une expression passée dans le langage politique.

Malheureusement j’ai vite réalisé que ce dernier était trompeur : le livre est exclusivement centré sur le milieu scolaire, notamment les lycées publics de la région parisienne, où l’antisémitisme, le communautarisme musulman agressif et revendicatif, le machisme, la violence ou encore le harcèlement régnaient en maîtres, alors que simultanément certains professeurs gauchistes bafouaient éhontément leur devoir de neutralité. Mais même parmi tous ces thèmes, c’est avant tout l’antisémitisme d’un grand nombre de jeunes d’origine maghrébine qui est épinglé ; or cette démarche m’a assez vite énervé tant le parti pris des rédacteurs est grossier.

Entendons-nous bien : ce qui est dénoncé ici une réalité incontestable, que beaucoup ont longtemps refusé de voir. Mais les témoins donnent presque l’impression que c’est le seul souci des lycées de banlieue. J’ai été moi-même collégien et lycéen dans le public, à Montpellier, durant la période citée (première moitié des années 2000) et je ne me suis pas vraiment reconnu dans cette description, malgré les graves problèmes causés par une minorité de « racailles » : leurs violences ne relevaient ni de l’antisémitisme, ni de l’islam…

Enfin les prises de position sont agaçantes, surtout quand on sait que la période narrée, les années Bush, consacrait la politique néoconservatrice des Etats-Unis, dont nous avons tous pu voir les formidables résultats la décennie suivante. Que les discours et les comportements racistes de certains élèves (donc antisémites) soient immédiatement sanctionnés, je suis entièrement d’accord sur ce point ; mais chacun a le droit d’avoir son opinion sur le conflit israélo-palestinien ou sur n’importe quel autre litige de politique internationale, même si elle est jugée scandaleuse. Cela, sans subir d’opprobre ou d’amalgame – à partir du moment où on respecte ceux qui expriment une opinion opposée et que les fonctionnaires se conforment au devoir de neutralité, cela va de soi.

Tirer la sonnette d’alarme sur les dérives de l’institution scolaire et le naufrage des valeurs républicaines à cause du laxisme de certains, je dis oui ; si c’est pour s’aligner sur « l’axe du bien » américano-israélien, non merci.

 

-Slavoj Zizek – La nouvelle lutte des classes : les vraies causes des réfugiés et du terrorisme (2016)

J’ai découvert récemment ce philosophe slovène, qui semble être une sorte de marxiste conservateur, au sens où il critique férocement la gauche multiculturaliste et la fameuse victimisation ethnique dont je parlais, qui déresponsabilise les peuples. J’ai été très agréablement surpris. Il peut aussi bien défendre un rappeur palestinien dénonçant dans ses textes les « crimes d’honneur » pratiqués contre les femmes dans sa propre communauté que la politique et les discours israéliens, ou bien s’attaquer sans langue de bois à l’intégration difficile de certains réfugiés délinquants, notamment après les agressions sexuelles de Cologne lors du nouvel an 2016.

Le titre et le sous-titre apparaissent pour le moins curieux après la lecture, reste un contenu des plus pertinent.

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