Jean Sévillia – Les vérités cachées de la guerre d’Algérie

Je dois avouer que j’avais de fortes appréhensions avant de commencer ce livre, connaissant déjà l’essayiste, rédacteur au Figaro Magazine, pour ses positions réactionnaires, déjà manifestées par exemple dans Le Terrorisme intellectuel (recensé il y a dix ans sur ce blog) : d’un côté il visait juste en s’attaquant au gauchisme culturel très répandu dans l’intelligentsia française, de l’autre il tombait exactement dans les mêmes travers en caricaturant tout dans l’autre sens. Par ailleurs le titre du présent document me paraissait assez pompeux : en ce qui concerne la guerre d’Algérie, les vérités ne sont « cachées » que pour ceux qui n’ont qu’une connaissance très superficielle du conflit.

Passé cela, une fois cette lecture terminée, je dois dire que j’ai été très agréablement surpris. Alors que je m’attendais à une ode à l’épopée coloniale, je trouve ici un ouvrage très complet, bien renseigné et sourcé, n’hésitant pas à souligner les points qui fâchent : la brutalité de la conquête (surtout la décennie 1840), les dépossessions foncières, la misère des colonisés, les carences de l’éducation et l’analphabétisme très répandu, l’aveuglement de l’administration coloniale et de la population européenne (autrement dit les pieds-noirs) qui bloquaient toutes réformes égalitaires ou encore le fait que le régime de Vichy et ses lois antisémites aient été bien digérés par cette dernière. Tout cela allait de pair avec l’explosion démographique de la population musulmane (algérienne) et de ses interdits religieux et culturels, freinant beaucoup l’assimilation du territoire : une cause n’en exclut pas une autre. 

J’ai pu retrouver la critique que Daniel Lefeuvre adressait aux « repentants » dans son essai de 2006, dont j’ai déjà parlé plusieurs reprises (jugements anachroniques, exagérations, erreurs grossières de méthodologie). L’ensemble est solide et argumenté, l’auteur nous montre qu’il est conscient de toute la complexité du problème. Le lecteur aura l’occasion de découvrir un Charles de Gaulle déjà convaincu de l’indépendance bien avant son retour au pouvoir en 1958, citations à l’appui, dont les discours publics étaient exactement l’opposé de ses déclarations tenues en privé – ce qui n’allait pas sans susciter de graves incompréhensions par la suite.

Ce que j’ai pu regretter en revanche est une certaine tendance au règlement de compte et à répéter quelques idées reçues :

-à deux reprises (chapitres 1 et 3) il reprend la fameuse citation tronquée de Léon Blum datant de 1925, transformant le leader socialiste (dirigeant de la SFIO) en partisan raciste de l’empire colonial français, manipulation que j’avais moi-même démontée il y a quelques années (que j’avais déjà repérée dans son autre essai Historiquement correct). Sans me vanter, l’essayiste aurait été avisé de consulter mon blog sur ce sujet : l’homme politique disait exactement l’inverse dans le discours d’où l’extrait est tiré…

-autre stéréotype, il a trop tendance à considérer le FLN comme un bloc homogène alors que le mouvement était très hétéroclite ; Jean Sévillia souligne pourtant bien les différentes factions qui le composaient, cela ne l’empêche pas de reprendre abusivement la formule « Le FLN » – personnellement c’est en lisant le témoignage de Rémy Madoui (ancien « fellagha » devenu officier dans l’armée française) que j’ai révisé ma position sur ce sigle très simplificateur ;

-sur les harkis, les statistiques citées doivent être prises avec des pincettes, affirmant qu’ils étaient trois fois plus nombreux que la guérilla du FLN : Guy Pervillé dans son Atlas de la guerre d’Algérie indique qu’il faut prendre en compte les pertes très lourdes de ce dernier et la difficulté à fournir une arme à chaque membre, et en concluait que le nombre d’Algériens ayant combattu dans l’un ou l’autre camp était du même ordre de grandeur (je retrouverai le passage*) ;

-par ailleurs, pour le dernier chapitre, même si je suis d’accord avec l’auteur pour condamner la haine de la France entretenue sur ce passé, que l’on retrouve jusque chez les terroristes islamistes d’aujourd’hui, il faut relever que les difficultés d’intégration et les radicalisations ont également pu se retrouver chez des descendants de harkis (Maurice Faivre en témoignait pour l’aspect culturel ou Gilles Kepel sur les terroristes), heureusement très minoritaires par rapport à la totalité.


Reste un travail étayé dans l’ensemble, même s’il aurait été préférable de nuancer certains propos.


*Au chapitre IV « Dénouement et bilan de la guerre », paragraphe « Le déséquilibre du nombre » : « 

Cette conclusion doit pourtant être interprétée avec prudence, en tenant compte à la fois de la difficulté à recenser complètement les différentes catégories de membres de l’ALN et du FLN […], de la difficulté à fournir une arme à tous les combattants potentiels et aussi du renouvellement des effectifs de l’ALN en dépit de pertes beaucoup plus lourdes […]. Ainsi, on peut raisonnablement conclure que les nombres d’Algériens musulmans engagés dans les deux camps pendant la durée de la guerre ont été approximativement du même ordre de grandeur. »

A propos Ludovic

Passionné d'histoire contemporaine, militaire et géopolitique, je chronique essentiellement sur ces sujets.
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