En fin d’année dernière, j’étais revenu sur un ancien article concernant la fausse citation de Boumediene traitant de l’invasion migratoire subie par l’Occident – les flux migratoires constituent un véritable enjeu à aborder sereinement, pour autant il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles et prêter à des personnalités des propos qu’elles n’ont jamais tenus… C’est visiblement le texte le plus lu de ce blog.
Mon second article le plus visité d’après les statistiques concerne, lui, une véritable citation, celle de Léon Blum tenant à l’Assemblée nationale (Chambre des députés à l’époque), le 09/07/1925, des propos qui seraient jugés aujourd’hui scandaleusement racistes et colonialistes. Cet extrait est repris un peu partout, par des journalistes, des universitaires, des essayistes ou encore des sites d’Histoire comme Herodote.net, pour nous sermonner que même un homme politique dont la mémoire est respectée soutenait le colonialisme. Tous, sans exception, font preuve à ce niveau du degré zéro de la recherche historique :
-En reprenant une citation sans expliquer que le vocabulaire employé dans le discours n’était pas choquant à l’époque (on remarquera d’ailleurs que personne, alors, ne lui a fait le reproche d’avoir employé le mot « races »), qu’il l’est devenu seulement après les horreurs de la Seconde guerre mondiale (et encore, la vision antiraciste a mis du temps à s’imposer dans l’opinion publique).
-En sortant les propos du discours d’ensemble, qui constituait, au début de l’intervention française durant la guerre du Rif (1925-1926), une condamnation sans équivoque de l’impérialisme français et des guerres coloniales, affirmant notamment :
Vous vous méprenez. Il y a au moins dans cette Chambre un parti qui est resté hostile dans son fond même, à la politique coloniale, c’est le nôtre. Je dois le déclarer en son nom, nous sommes par principe, par tradition, des adversaires du colonialisme. Nous considérons que, dans l’état actuel de la société, le colonialisme est la forme la plus redoutable, la plus pernicieuse de ce qu’on appelle d’un mot par trop courant et qui cependant a un sens, l’impérialisme, c’est-à-dire l’instinct ancien, probablement naturel, qui pousse toute nation à étendre le plus loin possible son imperium, sa domination, sa puissance. Nous sommes les adversaires du colonialisme en tant qu’il est la forme moderne de cet impérialisme.
-En s’abstenant de vérifier si cet extrait correspondait aux positions défendues par l’homme durant sa carrière politique. En l’occurrence, six années plus tard, au moment de la grande Exposition coloniale de 1931, Léon Blum affichait clairement ses positions en une du journal socialiste Le Populaire, dans un article intitulé « L’Exposition Coloniale – Moins de fêtes et de discours, plus d’intelligence humaine! », dont je joins le contenu :
Après une telle lecture, il est impossible d’avoir des doutes sur les véritables convictions de cette personnalité sur la question!
Evidemment, tout le monde est en droit de critiquer l’homme et ses positions. Du point de vue de l’extrême-gauche révolutionnaire, on pourrait dire qu’il a été trop timoré sur le sujet et surtout qu’il n’a pas su mettre en oeuvre ses idées au moment où il était au pouvoir en 1936-1938. On peut encore rétorquer que, dans le contexte de la Troisième République, sa marge de manoeuvre était très restreinte. En tout cas, on ne peut certainement pas s’interroger sur son opinion réelle sur le colonialisme et le racisme.
Au-delà de la simple biographie d’un homme politique célèbre, cette désinformation est révélatrice d’un problème plus grave : très souvent, le travail de vérification des sources n’est pas fait. Par fainéantise bien sûr (la paresse intellectuelle est beaucoup moins excusable aujourd’hui : internet, malgré ses limites, permet souvent de retrouver les archives des journaux et des débats parlementaires…), mais aussi parce que beaucoup préfère le sensationnel, l’émotionnel, le « scoop », plutôt que la vérité et la nuance.
Ce qui amène en fin de compte à faire circuler partout des mensonges assez énormes!
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