« Peuple de race blanche » et « Colombey-les-Deux-Mosquées » : qu’a réellement dit le général De Gaulle?

Je l’avais déjà relevé il y a plus d’un an, mais sur ce blog les articles concernant des citations controversées de personnalités représentent les trois plus gros succès en terme de visites. Nous avons dans l’ordre :

1) le faux discours du président algérien Houari Boumediene sur l’invasion migratoire des pays du Nord par la démographie explosive des pays du Sud ;

2) le vrai-faux discours « raciste et colonialiste » de Léon Blum, où le dirigeant socialiste, en vérité, loin de soutenir l’Empire français, condamnait l’ensemble des guerres coloniales (ici, la guerre du Rif en 1925), donc en fin de compte était anticolonialiste ;

3) la vraie plaidoirie de Jean-Marie Le Pen, où le jeune député poujadiste, en 1958 (bien qu’il se soit écarté du mouvement), se montrait favorable à l’intégration généreuse et antiraciste de millions d’Algériens arabo-berbères et musulmans dans la nation française…



Naturellement je ne peux pas m’arrêter en si bon chemin. Dans la catégorie des citations choquantes, et en lien direct avec celle de Le Pen (qui avait une conception diamétralement opposée du problème), une a été particulièrement récupérée : celle où le Général De Gaulle expliquait sa vision de la France :

C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées !

 

Ironiquement, cet extrait assurément dérangeant par rapport aux idées républicaines et universalistes actuelles est repris par des idéologues très différents et opposés quant à leurs idées politiques :

-des anti-gaullistes de tous bords, qu’ils soient de gauche, anti-français (comme ce site de nationalistes bretons, typique de méthodes mensongères consistant à reprendre les citations tronquées) ou bien anciens partisans de l’Algérie française qui dénoncent l’abandon des pieds-noirs et des harkis et veulent discréditer le fondateur de la Vème République ;

-des identitaires racialistes qui dénoncent l’immigration extra-européenne et vantent la « prophétie » gaulliste, avec un argument d’autorité conséquent vu qu’il s’agit du « plus illustre des Français »… C’est surtout de ces derniers dont il faut parler.



I) Il faut déjà se poser la question de l’authenticité de cet extrait et regarder la source. Il s’agit d’un entretien confidentiel qui aurait eu lieu le 6 mars 1959 à l’Elysée, rapporté par Alain Peyreffite qui en était très proche. La source se trouve dans son ouvrage « C’était De Gaulle », dans le premier tome au sixième chapitre, consacré dans un premier temps à un sujet secondaire (les pensions versées aux anciens combattants qu’il estimait illégitimes pour la plupart) puis à la façon de mettre un terme à la guerre d’Algérie. Je peux confirmer après avoir vérifié à la médiathèque : on trouve dans l’ouvrage la citation telle quelle.

Si on part du principe qu’Alain Peyreffite est sincère et rigoureux, on peut attester de sa véracité. Reste que la façon dont elle est souvent reprise a de quoi laisser très sceptique : la conversation n’était pas du tout destinée à être connue du grand public à l’origine, contrairement par exemple à une intervention à l’Assemblée nationale ou la rédaction d’un article dans un journal.

II) Ensuite, posons nous la question du contexte. Le vocabulaire utilisé d’abord, « race », ne doit pas être interprété de façon anachronique (comme je l’avais déjà noté par rapport à Léon Blum et ses « races supérieures ») : très souvent il n’était pas employé par rapport à sa définition biologique (que le racisme scientifique avait théorisé jadis) mais simplement dans une sorte de synonyme de « peuple ». Intenter un procès en racisme au Général avec plusieurs décennies d’écart, sachant que les mentalités ont largement changé, est absurde.

Deuxièmement, il convient de se pencher sur l’environnement historique de la guerre d’Algérie et des solutions qui étaient envisagées pour comprendre où il voulait en venir. A terme seules deux étaient crédibles : la séparation en deux nations distinctes (donc l’indépendance) ou l’intégration définitive à la France. Or plusieurs décennies d’incurie institutionnelle accumulées dans l’Algérie française dans le domaine scolaire ou encore économique et social ont fait que la population dite « musulmane » était difficilement intégrable : différences culturelles, de niveau de vie, démographie galopante. Une grande partie de la guerre d’Algérie a consisté pour les différents gouvernements de 1954 à 1962 à rattraper ce retard en un temps record, par exemple avec le plan de Constantine de 1958 pour sortir les Algériens de la « clochardisation ».

C’est ce dernier aspect qui est souvent récupéré par les identitaires droitistes pour dénoncer l’immigration actuelle, plus particulièrement maghrébine, oubliant le contexte de ses propos, celui de la décolonisation datant de plus d’un demi-siècle, comme si rien n’avait changé depuis…



Une question reste parfaitement légitime et actuelle cela dit : une nation, quelle qu’elle soit, peut-elle encaisser indéfiniment des flux migratoires de populations ne partageant pas du tout la même culture, les mêmes moeurs, les mêmes mentalités, la même langue? Tout est une question de quantité. La fermeture des frontières, à partir d’un certain seuil, devient totalement fondée, que cela plaise ou non. Je l’avais déjà noté dans un ancien article : ce n’est pas la France, l’Europe ou l’Occident qui sont concernés par ces questionnements sur le devenir de leurs identités, mais le monde entier, les reconduites à la frontières étant constatées ces dernières années un peu partout, y compris en… Algérie!

A propos Ludovic

Passionné d'histoire contemporaine, militaire et géopolitique, je chronique essentiellement sur ces sujets.
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3 commentaires pour « Peuple de race blanche » et « Colombey-les-Deux-Mosquées » : qu’a réellement dit le général De Gaulle?

  1. ogomidanda dit :

    Cette audace…
    De Gaulle était évidement raciste tout comme Blum, il parle de « race blanche », si c’est pas biologique je sais pas ce que c’est… D’autant que les Algériens étaient souvent considérés comme étant eux-mêmes des blancs à ces époques.
    Tout les politiques Européens étaient racistes à cette époque, le racisme est la seule chose de vraiment universelle, on a même des citations de Pompidou ou Giscard qui voulaient défendre la France blanche.
    De Gaulle établi bel et bien une distinction raciale entre l’Europe de race blanche et le Maghreb « arabe » selon lui.
    Mieux, De Gaulle avait des conceptions proches d’Hitler et il voulait rearyaniser la France en faisant venir des immigrés du nord de l’Europe, pour contrebalancer une présence bronzée trop importante à ses yeux, mais j’ai pas la source en tête, elle doit dans les fichiers.

    • Ludovic dit :

      « Race » n’a pas la même définition selon l’époque et le contexte où le mot est prononcé, il faut se garder de tout anachronisme vis-à-vis du vocabulaire utilisé à un moment donné, surtout en faisant un gros « point Godwin »… Sa conception des peuples est surtout ethno-culturelle, elle était certes partagée par beaucoup de politiciens de l’époque, sans d’ailleurs que cela se soit confirmé par des actes puisque l’immigration maghrébine et plus globalement extra-européenne est restée très forte durant les années 1960 et 1970 malgré ces quelques discours choquants (Giscard à la fin de son mandat avait accueilli les boat-people vietnamiens par exemple).
      Quant à Léon Blum, clairement non : lisez ses discours ou articles en entier (que je citais sur ce blog : celui de 1925 à la chambre des députés, ou un article publié dans « Le Populaire » de 1931 au moment de l’Exposition coloniale) : à aucun moment on trouve chez lui une conception raciste des peuples.

    • Ludovic dit :

      Un autre exemple parlant : en politique très contestable du pouvoir gaulliste, il y avait le « Bumidom » créé en 1963 par Michel Debré, qui avait fait venir massivement des Martiniquais, Guadeloupéens et Réunionnais en métropole. Beaucoup ont souffert de ce déracinement et ont été exploités, en revanche cela cadre très mal avec une hypothétique volonté de « réaryanisation » de la France…

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